Ron – Promoteur de rave / DJ – Francfort

 

Perspectives commence avec un carnet de voyage singulier. A Francfort, la jeunesse s’organise créer des nouveaux espaces sociaux, dans l’héritage d’une rave culture allemande singulière. Ron est un introverti heureux, équilibré, qui organise des soirées et joue de la techno dans les sous-sol de la Banque Centrale Européenne. Voilà son histoire, et celle d’une nuit de rave mémorable en pleine chaleur estivale. Par-dessus tout, ces événements brillent dans leur capacité à libérer leurs participants du conditionnement corporel et social.

Temoignage

LA RAVE-CULTURE ALLEMANDE COMME ESPACE SOCIAL DE CONTRE-CULTURE

Je n’avais jamais vécu une rave comme ça avant – malgré ma petite expérience dans la rave culture. J’ai pas mal voyagé dans l’Angleterre industriel et les raves la bas n’ont rien à voir – les anglais sont comme des enfants de 8 ans dans un bac à sable, complètement drogués. Il y a beaucoup moins l’aspect libérateur que j’ai pu constater hier soir, en plus de pouvoir le sentir à titre personnel. Comment as-tu apprécié la nuit, y compris ta performance ?

Oui c’était particulièrement sympathique, ma meilleure performance de l’année sans aucun doutes. Il y avait à peu près 2000 personnes au plus gros de la soirée. Ce n’est pas si souvent que l’on arrive à organiser ce genre d’évènements avec une aussi grosse portée dans Francfort. C’était la salle la plus particulière dans laquelle j’ai pu être amené à jouer, en plus de ça. La scène rave n’est plus si énorme – surtout si on la compare à ce qui se passait dans les années 90. On a eu des clubs plutôt légendaires à cette époque, comme le Dorian Gray ou le Airport. Je pense que l’on peut dire que dans ces années-là, Francfort était la capitale de la techno en Allemagne, plus encore que Berlin.

Ces clubs ont dû progressivement fermer. Au début des années 2000, on a eu les fameuses soirées Cocoon dans un nouveau club du même nom. C’est à deux ou trois kilomètres d’ici, dans un bâtiment énorme, complètement en béton. Le club pouvait accueillir jusqu’à 3000 personnes, et a brillé sur la ville durant une bonne dizaine d’années. Il me semble que ça fait plus ou moins 4 ans que ça a fermé. Durant les premières années, c’était tout le temps plein. Au bout d’un moment, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas assez de personnes cool – à même de venir dans un club techno – à Francfort. Progressivement, on a vu de plus en plus de banquiers arriver dans ces raves, on les appelle les « machos ».

« Macho » c’est-à-dire contre les femmes ?

Plus ou moins … c’est surtout par rapport à l’égo qu’on les qualifie comme ça. C’est des gens qui peuvent être agressif et qui ont un fort amour propre.

Photo du Dorian Gray dans les années 90.

Ça me fait penser au fait que le lieu de la rave était à quelque chose comme 500 mètres du bâtiment de la Banque Centrale Européenne. Le contraste idéologique est impressionnant, et l’on pourrait tout faire un discours symbolique sur l’opposition entre la finance européenne – dont Francfort en est la représentation – et ces raves où les jeunes vont.

L’Allemagne est très certainement intéressante pour cette ambivalence idéologique effectivement. Le festival le plus caractéristique de ce phénomène est le Fusion Festival. Le projet de ce festival est d’être un laboratoire politique. Ils exploitent le fait que le cadre d’un festival soit relativement le même qu’un simulateur à ce niveau-là. Tu peux créer quelque chose, radicalement en décalage avec la société, qui n’existe que durant les quelques jours du festival. C’est une définition que l’on attribue à tous les festivals, mais il n’y a que le Fusion qui se pose vraiment cette question de « quels autres modèles de société nous pouvons concevoir ? ». Il y a une portée prospective dans leurs idées – ils réfléchissent à comment pourrait évoluer notre modèle sociétal selon une perspective utopique. Ils assument le fait que pas tout le monde pourrait vivre dans les modèles qu’ils créent, mais ça leur permet d’avoir une grande liberté dans ce qu’ils font. Ce que tu peux vivre la bas, c’est réellement … socialiste, anticapitaliste.

 
 

C’est marrant car il y a une imagerie soviétique très forte autour du festival.

Oui, ça a sûrement à voir. Les organisateurs sont des gens qui viennent de l’est de l’Allemagne, et c’est également quelque chose que tu dois prendre en compte. Du coup, le lieu est une ancienne base militaire d’Allemagne de l’est. Elle est gigantesque. On peut dire que c’est des hippies, et certaines personnes la bas sont clairement dans des mouvances extrémistes de gauche.

C’est quelque chose que tu pourrais relier à Francfort ? Tu es né ici ?

Non je ne suis pas originellement de Francfort. Je suis né et j’ai grandi à 100 kilomètres d’ici, dans une ville qui s’appelle Wurtzbourg. J’étais là-bas jusqu’à plus ou moins la fin de mes études universitaires. Je contribuais déjà à la réalisation d’évènements la bas, mais ce n’est qu’avec les stages imposés dans mon cursus que tout cela est devenu aussi sérieux. Je suis parti quelques mois en Espagne, et ensuite grâce à mes connaissances dans le milieu j’ai rencontré Alex (ndlr : Alex est le responsable de la rave de la veille). J’ai proposé mes services et il m’a recruté. Officiellement c’est mon supérieur, mais en pratique on se répartit les responsabilités liées à l’organisation de ces évènements. Je suis responsable du booking, du marketing et du concept ; lui est beaucoup plus en charge de la production du site. Alex a une petite équipe derrière lui qui est responsable, il ne gère pas tout lui-même une fois sur site – y compris la caisse et tout l’aspect financier. Concernant ta première question, tu trouves effectivement des soirées qui ont vraiment une mentalité anti-capitalistique ici. C’est marrant, car comme tu le dis, Francfort est un haut-lieu de la finance européenne.

Ron (à gauche) et Alex, duo de choc.

Comment faites-vous pour trouver le lieu à chaque fois ? J’ai cru comprendre que c’était la première fois que vous vous serviez de ce bunker hier soir, c’était un lieu impressionnant …

Des fois, on prend un scooter et on explore les quatre coins de la ville. On recherche les endroits désaffectés, vides, ou inutilisés. Quand on a repéré un lieu, on va voir au registre de la ville, où ils te disent qui est le propriétaire de tel endroit. Assez souvent, ça sera la ville elle-même qui sera propriétaire de la friche. On demande si on peut l’utiliser pour une fête : la plupart du temps on nous répond non. Le plus souvent, quand ça appartient à une entreprise, tu dois juste faire une offre. En l’occurrence, le nouvel endroit, c’est l’entreprise elle-même qui est venue vers nous. C’est une société qui veut transformer le lieu en « escape room », et il existe déjà un laser tag, au-dessus de l’endroit où on a organisé notre soirée.

Mais du coup ça vous arrive d’avoir des problèmes avec la police ?

En général pas du tout. Par contre, il arrive que des voisins se plaignent du bruit – c’est là qu’ils interviennent. Pour être clair, la soirée dans laquelle tu as pu nous suivre n’était pas légale. On préfère organiser des évènements légalement. Mais on s’est rendu compte que c’était très difficile d’utiliser un lieu pour une fête sans que ça soit déjà un club. Souvent on se retrouve dans des contextes semi-légaux, où l’on est juste pas censé accueillir autant de personnes. Tant que personne ne meurt, on ne craint pas grand-chose.

Le lieu de la rave, magnifié par des néons comme si la battisse était en elle même une oeuvre d’art.

C’est intéressant de comparer ce que tu me décris avec le contexte britannique : les raves en Angleterre sont presque exclusivement « légales » désormais. Dans les warehouse les plus connues, tu as des sas avec des chiens à l’entrée. Tu ne peux même plus sortir fumer pour certains – comme le Warehouse Project à Manchester. Comment tu sens que ça évolue pour l’Allemagne ?

Ce qu’il faut comprendre avec les raves, notamment aujourd’hui, c’est que plus c’est gros, plus c’est professionnel. C’est de l’entrepreneuriat, réellement. Tu veux être rentable financièrement. Les plus petites structures peuvent se permettre de garder un esprit plus authentique – une grande liberté, ce qui compose cet « esprit » rave. L’un des DJ avec moi hier est presque exclusivement dans ce genre de soirées. On essaye de rester en phase avec cet esprit.

A quelle heure as-tu fini ? J’avais tellement conduis la veille que je suis parti sur les coups de 5 heures.

J’ai mixé jusqu’à 6 heures du matin dans la salle principale. Mais j’ai repris la deuxième salle entre 7 heures et 8 heures. Les dernières personnes sont parties à 10 heures du matin. C’est quelque chose d’assez traditionnel à Francfort. Je sais que tu m’as raconté que les clubs en Angleterre finissent au plus tard à 4 ou 5 heures – mais si tu vas à Berlin, la fête ne s’arrête jamais. Certains endroits sont fait pour que tu y passes ton weekend en entier. Il y a de la nourriture, des endroits où dormir : c’est un ermitage, littéralement.

La culture club en France est un peu différente. Au lieu d’être une libération du corps comme en Allemagne, ou un bac à sable enfantin comme en Angleterre, c’est beaucoup plus une construction sociale. Les gens vont beaucoup dans les clubs en France pour montrer leur style. Il y a un rapport à l’autre assez malsain, honnêtement.

Il y a beaucoup de lieux en Allemagne où tu ne rentres pas si tu es trop bien habillé. C’est une bonne chose, je trouve. Comme tu dis, plus qu’un langage musical, c’est un certain état d’esprit. Si tu n’as pas ça, si l’histoire que tu veux raconter se contente de l’essence de ta musique – si tu ne crées rien autour de ça – à quoi bon ?

 

Théorisation

LA LIBERATION DU CORPS EN RAVE

Ce chapitre est une exception dans la série. Il est le seul qui ne soit pas composé intégralement de retranscription de conversation. J’en deviens le narrateur alors que c’est profondément ce que je voudrais éviter. Pour autant, c’est également le seul moment de mon voyage dont ce n’était pas tant une discussion rationnelle que des sensations subtiles qui allaient radicalement bouleverser ma manière d’interagir avec mon corps. Ron est toujours là. Il est le personnage symptomatique de cette rave, de cette histoire. Le récit qui va suivre est l’exploration physique de cette rave, et la rencontre de ses participants. Il a été écrit à chaud, seulement quelques heures après avoir dormi en sortant de la rave.

 
 

J’entre dans ce dédale de couloirs sombres, aux néons berçant de leurs clignotements un sentiment d’être en dehors du temps. Ron, le personnage de mon portrait, est stressé : « la police va peut-être venir … ce qu’on fait est illégal depuis que le club a fermé ». Alex, son patron, bouge d’un coin à l’autre de la rave après m’avoir fait un rapide tour des lieux. La pression monte, on attend un millier de personnes.

Rapidement, la sensation d’être en dehors du temps se confirme. Les fumées de cigarettes envahissent les couloirs et agressent les yeux – on est loin des normes sécuritaires aseptisées du circuit légal. Après plusieurs heures à danser sur une techno puissante et affective, je me pose dans un couloir sombre. J’y rencontre Yuri, avec qui nous discutons de la victoire de la France face à l’Allemagne deux buts à zéro la veille, durant l’euro 2016 : « Une victoire pas vraiment mérité, vous n’aviez pas la supériorité tactique ». Je décide d’allumer mon microphone.


Bastien : Tu viens souvent aux raves ?

Yuri : Oui je suis un habitué. On s’amuse bien et la musique est vraiment bonne. Mais la meilleure chose ici c’est les gens. C’est pour voir les gens que je viens ici. Quand je fais la fête dans d’autres types d’endroits avec d’autres sortes de musique, les gens ont leur nez au ciel. Ils sont arrogants. La techno prône un esprit différent.

B : J’ai l’impression que la rave-culture ici à Francfort et en Allemagne est une contre-culture. La contre-culture de l’individualisme et de l’esprit financier qui rayonne sur l’Europe, notamment depuis Francfort. Tu en penses quoi ?

Y : Francfort est l’épicentre de la techno en Allemagne, avec Berlin. Comme tu le dis, je pense également que c’est lié avec l’importance du système financier dans la ville. Les gens sont dans la quête permanente de plus d’individualisme. La techno ici, il faut plus la voir comme un point de ralliement pour les gens qui ont une vision différente du fonctionnement de la société. C’est pour ça que je suis ici. Ici, tu peux trouver des gens qui ont eu des très mauvaises expériences dans la vie, et qui trouve le moyen de se libérer, en se laissant partir dans la musique.

B : C’est l’idée que tu n’as pas forcément besoin de devenir quelque chose en particulier ? Que tu peux juste être ?

Y : Vois la rave comme un monde à part du vrai monde. Le reste de la semaine, je travaille, et je suis bon dans ma trajectoire professionnelle. Le weekend, je me libère de tout ça, des exigences de la vraie vie. C’est pour ça que je viens en rave. Je peux connecter avec tellement plus de gens dans ce monde séparé.

B : C’est une question un peu intime mais … tu te sens heureux ? A propos du pays dans lequel tu vis ?

Y : Je ne suis pas satisfait de ce qu’est devenu l’Allemagne. Mais je pense que c’est pire ailleurs. Il y a beaucoup de corruption dans mon pays, mais quand tu compares avec le reste du monde, on ne peut pas vraiment se plaindre. Je suis heureux de grandir ici.


 
 

Et puis on coupe le microphone. Et ce qui s’y dit une fois les ondes coupées est souvent très intéressant. Dans le cas présent, Yuri me raconte que son frère joue au rugby dans l’équipe nationale. Il rêverait de l’être également, rugbymen professionnel. Les kicks puissants et violents des salles d’à côté, ainsi que le brouhaha germanique ambient, m’empêchent de discer-ner toute la complexité de sa situation. Mais je crois comprendre qu’il souffre de ce fait d’ombre. J’ose : « Es-tu heureux ? Dans ton quotidien, vis-à-vis de ce que tu es ? ». Yuri se pose, avant de me répondre qu’il a ce qu’il faut pour être heureux, que ça pourrait aller mieux tout de même. Au final, cela résume bien la mentalité des ravers de Francfort. La vie est belle – Francfort est une ville magnifique, agréable à vivre – mais toujours un arrière-gout d’individualisme dans la société, et le besoin de s’en échapper au travers d’une certaine façon de faire la fête.

Rapidement, la salle principale se transforme en sauna de thalasso et les danseurs, dont la grande majorité est sous ecstasy, enlèvent leurs tee-shirt. Ron prend les platines torse-nue à partir de 3 heures, faisant ressortir son physique chétif mais élégant – un allemand blond dans tout le cliché de l’image. Il y a une certaine forme de célébration du corps dans le brasier ardent des kick déchaînés. Les pas de danse y sont plus endiablés qu’en France, plus encore que dans les raves du nord de l’Angleterre. Les corps saillants et musclés s’animent dans une précision chirurgicale. Les danseurs s’agissent frénétiquement, dans un oubli d’eux-mêmes littéralement magnifique.

Malgré ma sobriété concernant les substances – tout au plus quelques bières – je joins la piste de danse en tenue réduite pour découvrir réellement ce que c’est, de s’abandonner dans une fête. Pas de téléphones, pas de photos, pas de flashs, juste des ombres adressant magnifiquement la pénombre. Les sacs et les bières sont posés dans les coins. L’espace y est plus que suffisant pour s’abandonner aux plus instinctifs des gestes. On en ressort lessivé, le corps trempé, l’impression de s’être écarté du monde. Dans mes expériences de raves anglaises, c’était avant tout la musique et la culture qui étaient célébrées. En France, c’est la représentation sociale qui prime. La fête germanique, elle, est beaucoup plus liée au relâchement du corps et au respect de l’autre – quelque chose plus à même de vous bouleverser.

 

Dévoilement

LE BONHEUR COMME L’ÉQUILIBRE DES CHOSES QUI NOUS COMPOSENT

Comment es-tu rentré dans la musique électronique ?

J’ai toujours été attiré par les différentes musiques punk. Il me semble que mon attachement pour la musique électronique a commencé plus tardivement, autour de quinze ans. On écoutait de la techno dans nos soirées, et j’ai réalisé à quel point c’était une musique intéressante. A l’âge de 16-17 ans je mixais déjà dans des clubs. C’était marrant car je n’avais pas l’âge légal pour rentrer dans les clubs dans lesquels je mixais. A chaque fois, au lieu de montrer ma carte d’identité, je montrais mes vinyles. Petit à petit, je me suis investi dans l’organisation de soirées. Plus tard, me voilà.

Tu essayes de garder un rapport instinctif avec tout ça ?

Oui, car il y a certaines idées ou comportements dont je ne veux pas m’imprégner. Quand tu rentres dans des genres musicaux de niche, ça peut devenir assez tentant de mépriser la musique pop. Je pense que c’est une réflexion, un rapport à la musique, à l’art et la culture, qui est contre-productif.

Tu as peur de pouvoir devenir ça ?

Une fois que tu es dans ce milieu, tu arrives assez facilement à voir qui est dans la pure communication. Tu distingues rapidement eux qui construisent une représentation artificielle d’eux-mêmes. En tant qu’organisateur, j’essaye de programmer des artistes qui ont avant tout quelque chose de personnel à porter. Ça peut passer par jouer des tubes si c’est le moment – comme ça peut passer par jouer des choses que la foule n’attend pas. C’est une question d’honnêteté.

Mais toi, pourquoi est-ce que tu fais ça ?

Je pense souvent à cette question. Notamment car mon environnement familial peut avoir des doutes vis-à-vis de cette activité. Pour le moment, je le fais car je m’y épanouis. Je n’ai pas d’autres projets professionnels en dehors de ces choses-là. Ma copine me dit déjà que j’en fais trop, que je ne prends pas assez de temps pour moi-même. Il faut savoir quand il y en a assez.

Tu te sens artiste ? Tu sens que tu as une part créative que tu n’exploite peut être pas ? Ou tu te sens dans la recherche de quelque chose de plus classique – un environnement social et familial assez stable ?

C’est assez compliqué … à ce niveau-là je pense que je ressemble à beaucoup de gens. Je suis horrifié à l’idée de faire un métier ennuyant, ou que je n’apprécie pas. Mais d’un autre côté, je n’ai pas envie que mon travail soit la raison pour laquelle je me lève chaque matin. Je pense qu’il existe un chemin entre les deux. Evidemment ça serait plus facile si j’étudiais la finance – mais ça n’est pas le cas. Ce que je fais actuellement, c’est très certainement stressant, mais j’aimerais quand même le faire même si je n’étais pas payé. Quand j’arrive au bout d’une nuit que j’ai organisé, où j’ai mixé, je suis littéralement épuisé. J’ai juste envie de rentrer chez moi et de prendre une douche. C’est une sensation agréable.

 
 

Et cette passion autour de l’organisation d’évènement, la place que tu te construis socialement au travers de ça, c’est ce qui te rend heureux dans la vie ?

Mon but dans la vie est d’avoir un chez-moi dans lequel je me sente bien. Je veux être vivant, actif. Si je n’étais pas social, je pense que je m’ennuierais. Si je passais mon temps à me droguer, à faire la fête, je pense que je m’y perdrais. Pour autant, je m’ennuierais sans ça. C’est juste que ce n’est pas quelque chose de remplissant. Ce n’est pas quelque chose qui va te permettre d’être apaisé.

Ta recette du bonheur est donc de mixer différentes choses ?

Je pense que tout le monde cherche le bon équilibre entre tout ça. Tout le monde se demande quelle place pour sa vie professionnelle ? Pour sa vie personnelle ? Le pire dans tout ça, c’est que c’est un équilibre qui varie avec le temps, tu ne trouves jamais la recette parfaite. Quand j’aurais 35 ans, il faudra que je trouve une nouvelle façon de composer avec mon bonheur. De même, quand j’avais 16 ans je faisais les choses pour une certaine raison. Je sortais car je n’avais pas encore de copine – alors que maintenant, même si j’ai une copine, je ne sortirais pas quelque part si la musique ne me racontait pas quelque chose. Ça peut paraitre stupide, mais c’est fondamental de cette idée : on cherche tous cet équilibre, et il prend ces formes désuètes, mais fondamentales.

Tu penses que les gens sont dans la musique électronique dans un mouvement purement positif, ou c’est pour fuir quelque chose ? Compenser quelque chose ?

Je pense effectivement que beaucoup de gens sont dans la musique électronique pour échapper à leur réalité. Les soirées et les raves sont un jeu d’apparence. Tout le monde s’affiche enthousiaste, heureux, épanoui, libéré. Mais en réalité, quand tu creuses, c’est beaucoup de vies qui ont quelque chose de triste. Certaines personnes sont tentées de compenser l’ennui de leur existence, les malheurs de leur vie, par une activité qui a quelque chose de particulièrement exaltant. Souvent jusqu’au point de faire trop la fête, de se perdre dedans, de fuir les réalités. Les drogues sont un élément central. Contrairement à ce que peuvent raconter les médias, quelqu’un qui tombe dans les drogues, c’est avant tout car il a quelque chose qui n’est pas réglé dans sa vie.

C’est intéressant car dans la manière dont tu parles de tout ça, on sent que tu as un certain recul, un certain rejet de tout ça. Comme si tu ne veux pas que ça te compose entièrement, que ça puisse te résumer.

J’ai toujours vu l’acte de consommation de drogue comme quelque chose de plus désespéré que récréatif. C’est comme ça que je me suis construit durant mon adolescence. Quelques années plus tard, j’ai réalisé que je buvais énormément tous les weekends, et que ce n’était pas forcément très sain. Puis, j’ai rencontré des gens dans le milieu qui avaient un rapport équilibré avec ça. Des gens qui pouvaient prendre des drogues, mais dans un cadre très mesuré, très mature. Je me suis rendu compte que le rapport à la drogue, à l’alcool, à tout ça : ça n’a pas forcément à être quelque chose qui t’es imposée, que tu subis. Tu peux construire un cadre dans lequel tu as un certain contrôle. Le contexte dans lequel tu vas consommer un produit récréatif – alcool ou drogue – le lieu ainsi que la fréquence, c’est beaucoup plus fondamental que l’idée d’un bien ou d’un mal.

Pour finir, tu dirais que tu es heureux dans ta vie ?

Oui … pour le moment je suis heureux, oui. Je fais des projets qui me plaisent, j’ai une copine fantastique, je suis en pleine forme, que demander de plus ? Quand je réfléchis au futur, c’est autre chose. Je ne sais pas ce que je ferai à 30 ans, à 40 ans, à 50 ans. Ça peut me faire peur, parfois. En Allemagne, si tu fais le choix d’étudier des choses « conservatrices », tu peux facilement avoir un bon métier. Ce n’est pas le chemin que j’ai voulu prendre. Ça peut être tentant de travailler de 9 heures à 17h tous les jours, et de ne pas avoir d’autres questions à se poser. Je veux prendre le risque d’aller à l’encontre de ça, pour trouver quelque chose d’autre. Ce « quelque chose » peut prendre beaucoup de formes, mais il est important dans l’équilibre dont on parlait plus tôt.